« Il y a deux façons d’être trompé, l’une est de croire ce qui n’est pas vrai et l’autre est de refuser de croire ce qui est vrai. » Soren Kierkegaard

Un enlèvement parental est une bombe à retardement.
Il provoque l’acquisition de schémas mentaux renforçant une fausse perception de la réalité. Supposons que l’enfant X ait été enlevé par le parent Y, à l’insu du parent Z, qui se trouve ainsi dans l’impossibilité de maintenir le contact avec son enfant. Le parent Y se trouve maintenant dans la position de transformer l’opinion qu’a l’enfant X. De faire en sorte de créer une légende au sujet du parent Z. Par exemple, le parent Y affirme que Z est mort lors d’un naufrage, ou que Z a abandonné Y, ou qu’il est dangereux, ou encore qu’il a refait sa vie avec un autre partenaire.

Vérité douloureuse

Pour retrouver un certain équilibre, l’enfant doit surmonter une vérité douloureuse : il a été rejeté par le parent Z. L’enfant grandit avec cette impression fallacieuse. Il va probablement nourrir une profonde inimitié envers Z. Sur la base des fausses déclarations de Y, le ressentiment de l’enfant est rationalisé, au point d’ignorer totalement Z, même quand ce dernier tente d’avoir un contact avec lui.
L’enfant ne considère même pas que les tentatives de Z visent simplement à rétablir le lien rompu, contre leur volonté mutuelle. L’attitude de l’enfant est indépendante de sa connaissance objective des faits, et de la manière de communiquer de Z, qui se trouve soudain placé devant des difficultés imprévisibles.

Progressivement, l'enfant extirpe de sa mémoire tous les bons souvenirs le liant au parent Z. Par la même occasion, il se renforce dans sa conviction que Z s’est mal comporté à son égard. Si Z lui communique qu’il a été mis injustement sur la touche, l’enfant ne le croira pas. Au cas où Z préfère ne rien dire, de peur d’être sanctionné par Y et de perdre le maigre contact qu’il a encore, l’enfant ne cherchera à priori pas à découvrir la vérité.
Qui sait même si la situation n’aurait pas empiré si Z avait dit à l’enfant qu’il a été enlevé, et que cet acte est un crime, ainsi qu’une grave forme de maltraitance envers l’enfant. L’enfant est désormais dans le déni. Il s’est aligné sur la position du parent qui l’a kidnappé.

Enfant pris en otage

Quelle est la réaction du parent Y, s’il  découvre une volonté de récupérer l’enfant de la part de l’autre parent ?
Il tient le couteau par le manche. L’enfant est pris en otage, il va forcément prendre parti pour le parent qui contrôle ses moindres faits et gestes.

Faut-il dire les quatre vérités  au preneur d’otage, et ainsi prendre le risque d’une coupure totale, ce qui est l’objectif qu’il recherche, et qui se justifierait alors par des propos qu’il juge diffamatoires, sachant qu’il se présente toujours comme une victime des événements ?

Sans compter que la carte de la transparence, attitude sans doute louable entre deux adultes, a peu de chance d’être perçue à sa juste mesure, compte tenu de la vulnérabilité de l’enfant et de son incapacité de comprendre réellement la situation, à cause de sa dépendance à l’autre parent.

Quoi que fasse le parent Z, il est à peu près certain que l’enfant prendra parti pour Y.

Par conséquent, Z sera toujours perçu comme un élément de discorde et de gêne. Il ne parviendra pas à se faire connaître sous un autre aspect.

Supposons maintenant que le parent Z, afin de ne pas perturber l’harmonie factice qui règne entre l’enfant et Y, agisse comme si la situation était normale et élude totalement la problématique de l’enlèvement parental. Lors des maigres contacts qu’il est parvenu à préserver avec l’enfant, ce dernier va interpréter la rupture selon la version de Y. L’enfant sera, par exemple, convaincu que le parent Z les a abandonnés, qu’il est violent, qu’il a refait sa vie et fondé une autre famille, qu’il ne verse pas la pension alimentaire, etc.

Toutes les affirmations fallacieuses de Y s’insinueront dans l’esprit de l’enfant. Si le parent Z aborde ces sujets de sa propre initiative, alors que l’enfant n’en parle jamais, il risque d’envenimer encore plus la situation. Z aura beau déclarer qu’il n’a jamais été violent, qu’il a attendu dix ans avant de refonder un foyer, que sa situation économique s’est détériorée suite à l’enlèvement parental, toutes ces explications sont irrecevables pour l’enfant. Elles ne font que souligner qu’il n’y a pas de fumée sans feu.

D’ailleurs, il est fort probable que l’enfant questionne le parent Y à ce sujet.

Que rétorquera alors Y ?
Il en profitera pour renforcer encore plus sa mainmise. Il ne se gênera pas de souligner à quel point Z lui a pourri l’existence. Il ressortira ses fausses dépositions, ainsi que les jugements obtenus par le parjure, en l’absence de l’autre parti. L’enfant sera déstabilisé et cherchera à éviter encore plus Z.

L’erreur du parent exclu est de trop accorder d’importance à ce que l’enfant pense, ce qui renforce son sentiment d’impuissance à changer la situation. Il ne faut cependant pas qu’il se fasse de fausses illusions.

Une seule personne est en mesure de désamorcer la bombe retardement. C’est le parent kidnappeur qui pourrait chercher l’apaisement, et ainsi faciliter le rapprochement de l’enfant avec l’autre parent.

Dialogue de sourds

Malheureusement, ce parent préfère souvent maintenir un dialogue de sourds, pour ne pas être sanctionné par la justice et pour donner l’illusion d’être un bon parent. Ce qui lui permet par la même occasion de justifier ses prétentions pécuniaires.

Bien que ce parent fasse tout pour saborder la relation de son enfant avec l’autre parent, il n’en continue pas moins de se faire passer pour une victime, sollicitant sans vergogne l’aide de ses proches et des institutions.

Si ce parent agit sciemment de la sorte, c’est qu’il considère, au fond de lui, que la relation de ses enfants avec l’autre parent est superflue, voire franchement nocive. Exactement comme il jugeait sa propre relation avec son ex-conjoint.

Ce parent peut donc ne pas être conscient de la bombe à retardement qu’il a déclenchée. Il peut ne pas s'apercevoir que la manipulation, ou plutôt l’influence, qu’il exerce sur le cerveau malléable, et en plein développement, d’un enfant, est nuisible.
Au contraire, il considère son attitude parfaitement légitime. En réalité, la bombe à retardement est l’attitude qui consiste à se décharger sur un bouc émissaire commode. Cette attitude est nocive de quelque partie qu’elle provienne. Elle peut aussi être l’œuvre du parent absent, qui incessamment reproche la séparation à l’autre parent, avec le but de monter les enfants contre le parent en question.
Pourquoi cette attitude est une bombe à retardement ?

Monde polarisé

Parce qu'elle ne permet pas l’éveil du sens critique de l’enfant et plus globalement le développement harmonieux de ses facultés intellectuelles. Sa curiosité naturelle, sa volonté de comprendre et de résoudre les problèmes de la vie, sa capacité de choisir et de s’affirmer comme un individu à part entière, se trouvent fortement réduites dans un contexte d’aliénation parentale. C’est l’acquisition d’une manière de penser réductrice, qui ne tient pas compte de la réalité et qui prétend résoudre des conflits en s’en prenant à des boucs émissaires commodes, qui est la conséquence la plus funeste d’un enlèvement parental sur les enfants pris en otage.

Cette manière de procéder est la plus préjudiciable à la résolution de ces situations d’enlèvements parentaux. Il est important de comprendre que cette logique dichotomique est faite pour durer et qu’elle est l’œuvre de parents qui l’ont très souvent héritées de leurs propres parents. Ils ne vont pas renoncer aux avantages que cette façon d’appréhender le monde procure.

Il se pose la question de savoir quand cette logique manichéenne peut se fissurer et à quel moment l’enfant est susceptible de (re)trouver son libre arbitre.

Faut-il attendre que l’enfant manipulé change d’alliance ?

Faut-il qu’il rejette tout qu’on lui a inculqué, à commencer par le parent qui lui a lavé le cerveau ?

Dans cette tendance à voir tout en noir ou en blanc, personne n’est vraiment épargné, à commencer par celui qui l’a instillé dès le départ. L’entente qu’il a obtenue avec son enfant est pourtant factice. Elle se réalise sur le dos d’une personne rejetée et de l’enfant. Sur d’autres victimes collatérales aussi, car le parent aliénant a un besoin constant de contrôle de son environnement et également de légitimité et de reconnaissance. Il  a une vision sadique de la réalité divisant le monde en dominateurs et dominés, en victimes et bourreaux. Ce qui ne laisse pas d’autre issue à l’enfant que d’être l’une ou l’autre de ces figures. Il n’est donc pas étonnant que la bombe à retardement éclate quand les alliés d’un temps deviennent les ennemis de demain, quand cette logique ne trouve plus d’exutoires pour se nourrir, dès que l’échec sentimental se réalise, car la vie à deux devient un champ de mines. 

Le risque le plus grave est que l’éclatement de cette bombe se termine en folie homicidaire ou suicidaire, où les dernières parcelles d’humanité sont totalement reléguées aux oubliettes, où les individus dépourvus de toute compassion à l’égard des autres tentent de réacquérir leur amour-propre blessé, en manifestant une dureté et une cruauté sans faille.

La boucle est ainsi bouclée. L’individu confronté, dès sa prime enfance, à l’irruption d’un monde polarisé, symbolisé d’un côté par la présence d’un parent déifié, et de l’autre du mal absolu, personnifié par le parent écarté, ne trouve plus d’autre issue que de perpétuer ce jeu sadique et destructeur, n’ayant jamais eu l’opportunité de rencontrer un moyen d’endiguer sa frustration et sa violence étouffées.