« Dans la plupart des cas, les symptômes qui dépendent de la nature de l'agression et ceux qui dépendent de la nature de l'agressé s'intriquent étroitement. » Jean Delay

Dissimuler son agressivité et faire succomber ses adversaires à l’aide de manœuvres déstabilisantes difficilement identifiables, et par conséquent non punissables, est le moyen le plus efficace de réaliser ses objectifs de dominance, tout en se prémunissant du danger de rétorsion de la part des personnes lésées.

Une manière frontale d'obtenir quelque chose de quelqu’un a de bonnes chances de rencontrer une forte résistance. Les individus dont nous parlons ont découvert tout l'avantage de poursuivre les mêmes objectifs, en adoptant un comportement fort différent. 

L'agression déguisée utilise toute une panoplie de méthodes de violence passive favorisant l’implantation d’un état de confusion et de coercition. Ce type de programme s’exécute par paliers, en fonction de la résistance des sujets agressés. Il est mis en place par le biais de tactiques de manipulation et d'intimidation. Au niveau mental, le but est de créer un état de confusion très perturbant, qui s’obtient à travers le renversement du rôle agresseur/agressé, grâce à des scripts de conditionnement et de chantage émotionnel. L’objectif est d'inculquer des fausses croyances à la victime, s’appuyant notamment sur des prétextes moraux utilisés hors contexte, afin qu’elle agisse, de son propre gré, dans la direction voulue. 

La grande difficulté, pour un observateur non éclairé, comme celui qui à l'occasion d'intervenir dans une affaire familiale sans une préparation adéquate, est de ne pas déceler ce genre de manœuvres qui, restant dissimulées, s'exécutent sous le couvert d’une légitimité et d'une autorité naturelle que la cible n’a généralement ni l'idée, ni la possibilité de contester.

Méthodes indirectes

Nous manipulons tous de temps à autre avec une mauvaise foi caractéristique. Chez les personnes dont nous parlons, cette attitude est fortement ancrée, au point de constituer leur mode opératoire dans leurs rapports interpersonnels. Certes, ils n'appliquent pas cette méthode systématiquement, cependant chaque fois qu’ils en ont l’opportunité, ils recourent à ces artifices.

Malheureusement, nous ne sommes pas préparés à contrer efficacement une forme d'agression qui privilégie des méthodes indirectes et sournoises. Lorsque nous sommes éduqués avec un certain sens de l'honneur et que nous respectons certaines règles éthiques, nous négligeons totalement la nuisance potentielle d’individus qui agissent dans l'ombre, tout en affichant un masque de respectabilité à leur entourage.

Ces personnes interagissent avec leurs cibles sans minimement trahir leurs prétendues intentions. Ils savent comment gagner votre confiance. Après avoir commis leur abus, ils disparaissent, parfois sans laisser de traces, vous laissant sous le choc. Si, après un kidnapping parental, vous parvenez à les retrouver, ils vous font face avec une morgue insolente, trouvant toutes sortes de prétextes déconcertants qui vous déboussolent et vous maintiennent dans l’expectative. Ce traitement de choc vous déstabilise au point d'en perdre votre latin.

Bombe à retardement

L'agresseur se comporte de telle manière, qu’il est particulièrement délicat d’identifier ses vraies intentions et de comprendre les raisons, motivant sa volonté de prendre le dessus sur ses interlocuteurs. Il joue sur les sentiments des autres, particulièrement sur ceux qui ont des scrupules, des doutes et des hésitations.  Les enfants pris dans ce genre de conflit sont les premiers à en souffrir. 

Une tactique très efficace est de projeter sa propre agressivité en tenant le rôle de la victime. L’objectif est de montrer que c’est l'autre parent qui est fautif, dur, immoral, cruel, etc. Toute la responsabilité de l’instigateur du conflit est ainsi occultée ; de même qu'elle l’est quand l’affrontement devient plus ouvert.

Lorsque cette agressivité larvée s’exerce au niveau familial, elle a l'effet d’une bombe à retardement, car le parent malveillant ne va pas hésiter à manipuler ses propres enfants pour parvenir à ses fins.

Situation ingérable

Le conjoint conciliant se trouve dans une situation ingérable, puisque toutes ses initiatives, visant à résoudre le conflit, sont interprétées avec méfiance, comme étant des manœuvres de déstabilisation de la part d’un parent vindicatif. La personne de bonne volonté doit donc constamment se justifier, ce qui rend impossible la gestion du conflit. Elle refuse pourtant de se rendre à l’évidence, considérant qu’une issue positive est toujours possible. Ce qui n’est pas faux, mais à la seule condition que celui qui est responsable de la situation change d’attitude.

Dans la plupart des cas, le parent abusé sous estime les conséquences de l'absence d’interaction réciproque, rendant toute tentative de résolution illusoire. Ce parent finit par se consumer à chercher une solution au problème, qu'il est apparemment le seul à avoir identifié. L’autre parent, pour sa part, ne propose jamais rien pour sortir de l'impasse. Cependant, il ne manque pas de se plaindre des propositions qui lui sont faites, même par l'entremise un médiateur.  Trouver des solutions équitables, suppose en effet la capacité de reconnaître l'autre comme un individu à part entière et de pouvoir communiquer ses propres sentiments dans le respect réciproque.

Chez un parent manipulateur, nous assistons, tout au plus, à une exacerbation de son sens de l'honneur, sciemment provoqué par son goût de la chicane. Toute manifestation de la partie adverse, quelle que soit sa forme et son contenu, a pour effet d’attiser le désir réparateur de laver, devant témoins, les affronts subis.

Phase post-traumatique

L’agression dissimulée a un effet très gênant sur la victime qui ressent un décalage assez important entre son ressenti, la réalité ainsi que la vérité officielle, influencée par l’agresseur. La victime perçoit les effets de la violence, sans pouvoir justifier son malaise. Lorsqu’elle découvre la supercherie, dans laquelle elle est maintenue à son insu, et qu’elle saisit les vraies intentions de l’auteur de l'agression masquée, elle n’en est pas moins dépassée, car elle n’a généralement pas les moyens de convaincre ses proches et la justice de la gravité de ces agissements.  

Seuls les parents qui se rendent finalement compte de la manipulation n'ont plus peur de regarder la réalité en face, aussi désagréable et gênante qu’elle puisse être. Durant cette phase post-traumatique, le parent, conscient du processus destructeur dont il a été victime, doit tout de même lutter contre l’indifférence ambiante, visant non seulement à nier le phénomène, mais même à le légitimer consciemment ou inconsciemment.

Le combat contre la violence dissimulée dans un contexte familial est donc très ardu. La réussite de cette lutte ne peut dépendre que de la capacité de la victime à disséquer les manœuvres de l'agresseur et à les rendre publiques. Dans ce processus de reconstitution des faits, il est nécessaire de trouver des intervenants neutres et objectifs, aptes à condamner ce genre de maltraitance, dont les conséquences sont souvent fatales pour les enfants pris en otage.