« L’enfant devenu adulte ne va pas vraiment avoir l’impression qu’il a été manipulé, mais va retrouver en tout cas un discernement et un libre arbitre, dont il était privé au moment de la séparation conflictuelle. Mais il est trop tard, il peut se rapprocher bien sûr du parent qu’il a rejeté pendant des années. Mais à qui est ce qu’on va rendre les années volées ? Ni à l’enfant, ni au parent. C’est quelque chose qui est définitivement perdu. » Paul Bensussan

Les années volées sont toutes celles, où un enfant a été influencé par la pensée réductrice d’un parent, qui l’a soustrait à l’affection de l’autre parent.
Comment pouvons-nous apprécier la pertinence de cette affirmation ? 
Apparemment pas dans le constat de ces enfants, devenus majeurs, qui ne regrettent absolument pas les années passées en compagnie du parent qui les ont kidnappés.
Comment pouvons-nous déterminer, en l’absence du principal témoin (le parent rejeté), que les enfants enlevés ont été élevés dans la haine de l’autre parent ?
Parce que c’est bien cela qui importe. Si les enfants enlevés sont sains d’esprit et bien portants, et qu’ils ne nourrissent aucune hostilité envers le parent écarté ; le seul regret que l’on puisse avoir, c’est qu’ils ne prennent pas conscience du sort injuste qui a été le leur, ainsi que celui du parent écarté.
N’ont-ils pas été privés d’un rapport affectif auquel ils aspiraient naturellement ?
Nous pouvons cependant imaginer que le sort de ces enfants eut été pire, si les deux parents s’étaient occupés d’eux. Nous sommes alors obligés de considérer l’hypothèse, qu’un fort antagonisme entre des parents affecte bien plus leurs enfants, que d’en être éloigné d’un, après un kidnapping. 
Ce qui s’oppose principalement à la santé des enfants, c’est un état d’esprit vindicatif qui n’est pas obligatoirement l’œuvre du parent kidnappeur.
Toutes ces questions illustrent à quel point il est difficile de généraliser à partir d’un cas particulier, qui demeure obscur, à bien des égards, aux observateurs extérieurs.
Dans une large mesure, la perte encourue dépend des qualités humaines et morales du parent écarté. Plus préoccupante serait l'impossibilité, pour l’enfant, de les compenser d’une autre manière, que par le contact direct avec ce parent. Les valeurs de chaque parent doivent cependant trouver un terrain favorable pour s’exprimer. 
Est-ce qu’une situation très polarisée, comme un conflit parental, indépendamment de l’existence d’une séparation, crée les conditions propices à l’épanouissement d’un enfant ?
Certes, nous pouvons juger que le lien filial est sacré et que sa rupture, à travers un enlèvement parental, ne peut être que préjudiciable au développement de l’enfant. Néanmoins, au niveau de la stabilité que l’enfant requiert pour croître, cette situation n’est pas obligatoirement pire qu’un divorce dans lequel deux parents sont présents et se déchirent. Nous pourrions même imaginer qu’un enlèvement parental, avec l’oblitération définitive du parent rejeté, représente les meilleurs gages de réussite pour la stabilité affective d’un enfant. 
Dans ce cas, la situation est claire, l’autre parent n’existe plus et son souvenir s’estompe inexorablement. Sans conséquences mesurables pour l’enfant. Du moins, est-ce la fantaisie nourrie par les parents, qui se résolvent à kidnapper leurs enfants. Faire table rase du passé. Façonner un nouvel avenir pour leur progéniture, où la présence perturbatrice de l’autre parent est réduite à néant.
Bien que le parent qui kidnappe ses enfants parle d’un événement heureux, d’une espèce de délivrance ; tout le monde s’accorde pourtant à considérer l’enlèvement parental comme une grave forme de maltraitance. 
Sans vouloir négliger les capacités de récupération d’un être tout en devenir comme un enfant, qui aspire naturellement à dépasser sa situation actuelle, autant d’un point de vue physiologique qu’intellectuel ; nous ne pouvons sous-estimer les incidences durables d’un kidnapping parental. 
Comment faire le lien entre le kidnapping parental, dont un enfant a été victime, et les problèmes affectifs qu’il rencontre (éventuellement) beaucoup plus tard ?
Ce travail de reconstitution est extrêmement difficile, de même que très peu fiable d’un point de vue scientifique. De nombreux événements surviennent dans la vie d’un individu. Chaque personne réagit à sa manière face à des situations similaires et leurs conséquences sont fort diverses.

L’enfance manipulée

Les enfants manipulés ne souffrent véritablement que dans la phase initiale du façonnage de leur personnalité. Lorsqu’ils doivent lutter contre leur inclination naturelle à ne pas voir le monde avec les œillères de l’adulte. Mais, une fois que le nouveau modèle de pensée est adopté, ils en deviennent les plus fervents adeptes. Ainsi la notion d’« années volées » n’est finalement perceptible, que pour ceux qui ont assisté impuissants à cette métamorphose. Eux-seuls ont impression d’avoir perdu leur temps en attendant une hypothétique prise de conscience.
Nous devons également faire la différence entre l’endoctrinement direct et indirect des enfants. Direct, lorsqu’il consiste, par exemple, à transformer des enfants en soldats dans un conflit armé, et indirect, comme il a communément lieu chez certains enfants du divorce, ou même au sein de familles intactes.

Noir ou blanc

La propagande indirecte est plus insidieuse, car elle se déroule en toute légalité, le plus souvent avec l’assentiment de l’entourage du kidnappeur, voire des intervenants externes à la famille. La dénonciation du phénomène, qui serait la seule manière d’enrayer la programmation de l’enfant, est inopérante, puisque difficile à démontrer. Surtout de la part du parent qui ne vit pas avec ses enfants. Bien qu’ils ne soient pas toujours perceptibles, les dégâts de la manipulation mentale existent. La difficulté d’établir un diagnostic clinique sur des enfants qui n’en ressentent aucun besoin, se considérant parfaitement normaux, doit cependant nous inviter à la prudence. Sans compter que certains enfants parviennent à conserver leur esprit critique, à l’endroit des deux parents d’ailleurs. Ces enfants deviennent récalcitrants aux tentatives de les convaincre, dans un sens comme dans l’autre. En se démarquant de la manière polarisée de penser de leurs parents, ils adoptent finalement une attitude assez saine leur permettant de préserver leur indépendance et leur dignité.
Nous pouvons affirmer, sans dresser un tableau exhaustif, que la pensée manichéenne adoptée par l’enfant endoctriné, visant à la rupture et à l’ostracisme de l’autre parent, est source de difficultés lorsqu’elle devient un système de comportement récurrent. De manière significative, cette façon de voir est susceptible de concerner autant le parent coupable d’enlèvement que celui qui le subit. 
Chez chacun de nous, de très fortes prédispositions existent pour voir la réalité en noir ou blanc, sans aucune zone intermédiaire. Comment donc critiquer cette manière dichotomique d’appréhender le monde, alors qu’elle est plus ou moins universelle ?  
D’un point de vue socio-économique, nos systèmes de vie sont axés sur la lutte entre les pôles divergents, sur la diabolisation de l’ennemi et l’idolâtrie du tout ou rien. Toute l’éducation religieuse et culturelle est empreinte de ces jugements de valeur, qui établissent péremptoirement le bien et le mal, et finissent par régenter la vie des individus.
N’oublions pas la facilité de décision induite par ces prises de position tranchées. Quand les choses semblent claires, on ne souffre plus de l’incertitude.
Celui qui dénonce le conditionnement et la manipulation, à l’œuvre dans un enlèvement parental, doit le faire avec une grande prudence, afin de ne pas adopter le même discours polarisé. Il vaut mieux cependant ne pas se gêner de démystifier la sacro-sainte liberté personnelle, revendiquant le droit d’exprimer les croyances les plus loufoques, aux effets pervers loin d’être négligeables, plutôt que de s’attirer les foudres du bon sens.

Motivations

L’emprise effectuée sur l’enfant se déroule dans toutes les familles. Afin de porter un jugement sur cette influence, il est essentiel d’en connaître les motivations. 
S’agit-il d’instrumentaliser l’enfant afin qu’il prenne parti pour un parent, dans la campagne de dénigrement orchestrée contre l’autre parent ?S’agit-il de développer son sens de l’observation, son esprit critique, afin qu’il devienne un individu honnête et responsable ?
Comment faire la différence entre le vrai amour désintéressé, visant au bien de l’enfant, et l’amour conditionnel qui satisfait avant tout l’ego du parent ?
Que penser de ces parents qui incitent leurs enfants à gravir les échelons sociaux, sans manifester le moindre égard pour les autres ?

Derrière une éducation établie sur le culte du développement personnel, exercée au nom de la liberté, se cache fréquemment des motivations purement égocentriques. Afin d’en avoir le cœur net, il est nécessaire d’isoler le processus de pensée qui est au centre de la motivation à transformer l’autre, et qui vise à le réduire à un simple exécutant ; dans l’unique but de satisfaire les idéaux de grandeur de son géniteur. Ces idéaux sont fondés sur la rivalité, la compétition et la lutte contre ses semblables. Ils préfigurent déjà de la mentalité manichéenne qui divise le monde, entre lui et moi, ma famille et la sienne, et entre nous et les autres. Dans cette vision de la réalité, aucune place n'existe pour une saine émulation, où chacun trouve son compte. C'est, au contraire, une culture de haine, qui essaie de se frayer un chemin sans merci.

Frustrations

Une attitude qui provient, dans la plupart des cas, des limitations affectives et relationnelles de l’instigateur du processus. Généralement, il s’agit d’un parent qui a de grandes aspirations, dont les propres parents avaient une idée très haute de ce que devait être la destinée de leur rejeton.
L’impossibilité de matérialiser cette vision irrationnelle génère son lot de frustrations, qui finissent par empoisonner toute relation. Cet antagonisme larvé forme une source de discorde intarissable, conduisant irrémédiablement à la rupture, et parfois à l’enlèvement parental.

Paradoxalement, l’enlèvement parental constitue dans certains cas une réconciliation avec les idéaux parentaux du kidnappeur, que le parent écarté n’est pas ou plus en mesure de satisfaire, car son potentiel est jugé insuffisant. Non du point de vue spirituel ou affectif, mais comme pourvoyeur matériel, ainsi que comme réparateur d’une image de soi déficiente. Ces parents kidnappeurs souffrent souvent d’une identité fracturée. D’un côté, se manifeste un idéal inaccessible et de l’autre, en raison même de cette quête irréaliste, la tendance à la déception renforçant leur manque d’estime personnel. Ces parents vont reprendre le flambeau de l’éducation de leurs enfants, selon le modèle boiteux hérité de leur propre famille.

Projection

Les criminologues ont fréquemment observé la projection qui a lieu chez les délinquants lorsqu’ils essaient de justifier leurs délits. L’enlèvement parental n’échappe pas à cette règle. Dans la plupart des cas, l’enlèvement se justifie par la violence suspectée, ou soi-disant avérée, de l’autre parent.  
Pour les parents kidnappeurs, le parent rejeté est fondamentalement mauvais. Il incarne le mal avec un « M » majuscule. Ils ne lui reconnaissent aucune qualité.  Ce parent est donc obligatoirement inapte à exercer ses droits. 
Comment pourrait-il alors prétendre continuer de s’occuper des enfants ?

Ces accusations de violence, mêlées à la crainte souvent omniprésente que ressentent les kidnappeurs envers le parent qu’ils ont exclu, ne représentent en réalité que des manifestations de culpabilité, dont la peur de rétorsion est la plus apparente. Leurs angoisses sont provoquées par la projection de leurs propres actes ainsi que des émotions qui en découlent, dont ils tentent de nier la nature abusive.
Ces parents se protègent contre un danger qui émane concrètement de leur propre mode de pensée, établi sur une conception très clivante des rapports humains. La revanche, la vengeance, sont des besoins inextinguibles chez ces parents, qu’ils attribuent inconsciemment à toutes les personnes qu’ils rencontrent. Il est essentiel de comprendre que ces parents n’ont aucune volonté de changer leur vision du monde, car cela les décrédibiliserait aux yeux des observateurs, à commencer par leurs propres enfants. C’est pourquoi ils sont si obnubilés à agir pour que le monde extérieur coïncide davantage avec leurs psychodrames.

Attitude dommageable

Pour ces parents, aucune conciliation, médiation ou apaisement existe, puisque de l’entretien de la flamme de la discorde dérive leur seule raison d’exister. Beaucoup d’observateurs restent interloqués de constater qu’aucune amélioration n’est possible, malgré tous les efforts entrepris. Ils suspectent souvent un profond dérèglement psychique chez des parents si récalcitrants. Cette interprétation est dans la plupart des cas insuffisante, car elle ne tient pas compte du fait que ces parents éprouvent un réel plaisir à agir de la sorte. Ils savent parfaitement où conduit leur comportement. Ils sont parfaitement conscients de leurs agissements, et totalement convaincus de leur caractère approprié. Ces parents seront toujours des obstacles infranchissables, de la même manière qu’un rocher laissé au milieu d’un sentier de montagne. La seule issue serait de les écarter de la vie de leurs enfants. Cependant, personne ne s’y résigne de peur de s’attaquer au mythe de l’amour maternel ou paternel. Or là n’est pas la question, il s’agit en réalité juste d’empêcher le travail de sape d’une personne, adoptant une attitude particulièrement dommageable pour ses enfants et pour la société entière.

Dans tous les cas, il est fondamental de ne pas faire d’amalgame et de bien différentier un parent, qui a toutes les raisons légitimes de fuir un conjoint toxique et violent, de celui qui kidnappe ses enfants dans un but purement égocentrique.

Une manière d’effectuer le juste diagnostic est d’observer le mode opératoire de chaque type de parent. Là où il n’y a aucune possibilité de conciliation, là où l’hostilité est omniprésente, là où seul le pourrissement de la situation est recherché, il n’est paradoxalement pas rare d’avoir affaire à un parent manipulateur et abusif, qui usurpe l’identité d’une vraie victime, dont l’attitude est habituellement digne et mesurée.

Conclusion

Les années volées représentent donc tout le temps, toute l’énergie gaspillée, à faire entendre la voix de la raison, à des personnes enfermées dans un mode de pensée réducteur. Ce problème est universel et ne se limite pas au cadre de l’enlèvement parental. Comme nous l’avons vu, le plus grand danger, lorsque l’on combat ce syndrome, est d’adopter le même mode de pensée. La planche de salut consiste à cultiver, d’abord vis-à-vis de soi-même, un peu de bon sens, et de réformer sa manière de penser, si elle s’apparente dangereusement à celle que nous condamnons, à juste titre d’ailleurs.

Pour que la lumière existe, il suffit d’en créer les conditions. Il est impératif de se démarquer des comportements abusifs récurrents de ces personnes. De ne pas y collaborer de manière directe ou involontaire, de refuser de se laisser prendre par la facilité des jugements péremptoires et des décisions hasardeuses.  

S’il ne devait y avoir qu’une vérité qui compte, c’est celle qui adhère aux lois de la réalité. Si nous l’approchons avec sens critique et honnêteté, il n’y a aucune raison qu’elle continue de nous fuir. Avoir un esprit sensé dans un corps sain, n’est-ce pas le bien le plus cher, que l’on puisse désirer, pour soi et ses enfants ?